La populaire coureur cycliste français Eugène Christophe est un pratiquant très fervent du cross-country cyclo-pédestre. Le championnat de France de cross-country cyclo-pédestre, crée en 1901 par notre confrère Daniel Gousseau, a été gagné six fois pas Christophe, en 1909, 1910, 1911, 1912, 1912 et 1914. C'est assez dire l'expérience et l'autorité de l'auteur des conseils donnés ci-dessous aux jeunes cyclistes. Ces conseils seront d'autant mieux écoutés que Christophe considère le cross cyclo-pédestre non comme une fin, mais comme un mode d'entrainement en vue de la saison de courses sur route: et l'on suit que Christophe a connu dans ce genre d'épreuves de multiples succ&egrace;s. Faut-il rappeler sa victoire dans Milan-San-Remo en 1910, sa place de deuxième dans le Tour de Belgique de 1911, le Tour de France de 1912? Son classement de premier dans Paris-Tours et Bordeaux-Paris de l'an dernier n'est-il pas resté présent à la mémoire de tous les sportifs?
Comment ne pas franchir et franchir une fondriére
Le cross-country cyclo-pédestre, c'est la culture physique du cycliste. Je ne parle pas ici du cycliste parvenu à la gloire ou même à la notoriété, du champion qui s'est signalé par de beaux exploits. Je m'adresse aux jeunes cyclistes, aux débutants, aux professionnels et aux amateurs, à tous ceux qui aiment le cyclisme et qui aiment leur bicyclette comme un cavalier aime son cheval comme un chasseur aime son fusil et ses chiens.
Le premier avantage du cross cyclo-pédestre est d'habituer les pratiquants de ce sport à manier leur vélo, à ne plus être embarrassés avec lui, dans aucun cas. Je connais de remarquables coureurs cyclistes qui s'illustrent soit sur une piste, soit sur route, pour lesquels la bicyclette devient une gêne et un fardeau, dès qu'ils sont obligés de mettre pied à terre pour franchir un passage à niveau fermé ou traverser un wagon de marchandises qui barre le passage. Ils ne sont pas familiarisés avec leur machine; ils ne savent pas la porter, la poser, se servir d'elle comme point d'appui; ils ont l'air maladroits et semblent toujours craindre de détériorer leur monture ou de se faire mal. S'ils avaient fait du cross cyclo-pédestre, la bicyclette serait pour eux un objet pratique.
La mauvaise et la bonne escalade d'un talus
En deuxiéme lieu, le cross cyclo-pédestre est un bon mode d'entrainement du cycliste pour la saison d'hiver. Les professionnels du cyclisme, qui ont fourni de longues courses pendant l'été, comme Bordeaux-Paris, le Tour de France, ou même simplement la série des Paris-Roubaix, Paris-Tours et des circuits de province ou de départements, ont contracté, durant les épreuves pénibles, une certaine ankylose des membres et du corps; ils sont raidis; ils ont tendance à se voûter; les muscles, ceux du poignet surtout, sont faibles et mous.
Le cross cyclo-pédestre, sport de courte durée et très varié, est un exercise réparateur; il les aide à se remettre petit à petit en forme, car il fait travailler tous les muscles à la fois; il se pratique tantôt à bicyclette, tantôt à pied; il oblige ses pratiquants à faire de la marche ou du pas gumnastique dans les chemins et sentiers impracticables, dans les terres labourées, à porter leur machine pour franchir des barricades ou des haies; il correspond alors à un exercise d'haltères et exige de l'équilibre, de la souplesse, de l'adresse, de la résistance. Il apprend au cycliste à descendre à pied des côtes à pie, en freinant et en prenant la selle de la bicyclette sous le bras, afin de ne pas être entraîné par la vitesse de descente et d'empêcher le vélo de faire des bonds. Ainsi l'amateur de cross cyclo-pédestre accomplit les differents mouvements du porter, du lever, de la marche, de la course et du saut. Et la bicyclette est toujours pour lui, non pas un embarras, mais un auxiliaire extrêmement précieux. Ne vous disais-je pas que le cross cyclo-pédestre est la culture physique du cycliste?
Mauvaise et bonne descente d'un sentier abrupt
Un autre avantage du cyclo-pédestre, c'est qu'il ne dure pas longtemps. Un cycliste qui veut s'entrainer l'hiver et parcourir, par example, une cinquantaine de kilomètres en deux heures, est obligé de s'éloigner considérablement de son point de départ, ou il a laissé ses vêtements de rechange. S'il lui arrive un petit accident, il risque de se refroidir et de prendre mal. Le cyclo-pédestre se dispute dans un espace restreint; les concurrents sont toujours à vestiaire; de plus, ils sont toujours en action: quand ils ne sont pas à bicyclette, ils marchent ou ils courent à pied; ils neccessent de se donner du mouvement.
J'ai entendu plusiers fois l'objection: "C'est entendu, le cyclo-pédestre est amusant et pratique, mais il est dangereux!" Dangereux, oui, mais pour les maladroits, pour les casse-cou. Jamais un casse-cou n'arrivera à être champion de cross cyclo-pédestre! Est-ce qu'on ne peut pas à la fois aller vite et rester prudent? Comparez les champions du volant qui roulent à des vitesses folles et ne brisent ni leur voiture, ni celle des autres, et les chauffeurs de taxis qui, malgré leur faible allure de 30 kilomètres à l'heure, sont un danger public! Les premiers sont maîtres de leur engin, les autres ne le sont pas.
On gagne souvent du temps en descendant de bicyclette
Maintenant que j'espère vous avoir convaincus de l'intérêt et des avantages du cross cyclo-pédestre, je voudrais vous donner les quelques conseils que je dois à ma seule et vieille expérience. Un coureur cyclo-pédestre tire sa valeur plus ou moins grande de son aptitude à juger le terrain; le meilleur coureur est celui qui lit couramment et Sûrement la carte du terrain, et qui conforme sa course aux données de cette carte. Il saura, quand il le faut, descendre de machine, porter sa bicyclette au-dessus des terres labourées, la rouler sur les terres hersées la rouler à moitié sur la roue avant, en plaçant la selle sur la bras, dans les sentiers escarpés; il verra arriver le caniveau ou le fossé et sera capable, soit de franchir l'obstacle à bicyclette, soit de descendre en voltige et de conserver son élan pour remonter sur le vélo encore lancé. Le coup d'œil est la principale qualité du coureur cyclo-pédestre.
Le débutant s'imagine qu'il doit rester à bicyclette à tout prix, sous le prétexte qu'on va plus vite à vélo qu'a pied. Mais il confond souvent vitesse avec précipitation, et en croyant gagner du temps, il en perd, parce qu'il tombe ou qu'il abîme sa machine. Il ne faut pas non plus qu'il prenne le contre-pied de ce que je viens d'expliquer, et pratique la course pédestre comme un spécialiste de ce sport. Un cross-country cyclo-pédestre participe à la fois du cyclisme et de la course à pied, comme son nom l'indique. Pourtant, un pédestrian ne réussira pas dans le cyclo-pédestre: je ne veux citer comme exemple que l'essai infructueux de deux bons pédestrians professionnels qui avaient cru, grâce à leurs qualités de coureurs à pied, faire bonne figure dans le sport que je décris.
Comment on descend ou on saute un talus
Le cycliste doit se servir, dans le cross cyclo-pédestre, de son vélo de course à boyaux: il est bon, toutefois, qu'il ramène à 5 mètres ou 5 m. 20 son développement, qui est, je suppose, de 5 m. 50 l'été. Pour-quoi cette diminution de la multiplication? Parce qu'après une course à pied on une marche pénible, les muscles sont fatigués, et que le développement semble toujours plus grand qu'il n'est réellement. La roue libre n'est pas à recommander, quand ce ne serait que pour la position de la pédale quand on veut remonter à bicyclette. Ce que je viens de dire a l'air d'un détail, pourtant, c'est à un détail de ce genre que je dois ma victoire sur Tribouillard, dans le championnat de France de cross cyclo-pédestre de 1911. Mon redoubtable et valeureux adversaire, qui se jouait de moi à l'entrainement, venait comme moi de remonter à vélo, au sommet d'une côte abrupte; il était sur ma roue. Je l'entends qui maugrée; je risque un œil derrière moi et je vois qu'il perd le contact avec moi en cherchant à remettre ses cale-pieds à courroies; je saisis l'occasion de produire mon effort et de mètres; je les conserve jusqu'à la fin de l'épreuve.
Le débutant doit encore éviter de remonter trop vite à bicyclette, au haut d'un côte; il croit parfois être en descente ou en palier, alors qu'il y a encore une rampe de 3 à 4 0/0; il s'épuise inutilement et ne gagne pas de temps. En tout cas, dès qu'on remonte sur le vélo, il faut donner quelques coups de pédale très vigoureux, pour prendre une bonne vitesse initiale et être ainsi à même de se remettre bien en selle.
La maniére de traverser un fourré
Un dernier conseil: de la prudence. Ayez toujours des freins et de bons freins. Servez-vous de vos freins, non seulement à vélo, mais encore dans les descentes que vous parcourez à pied. Prenez garde au moindre accident de terrain, à la moindre motte de terre, aux touffes d'herbe, aux trones d'arbre. Méfiez-vous des ornières: je me rappelle que, dernièrement, au cross de Choisy, par terrain gelé, j'ai exécuté un looping superbe après que mes roues se furent prises dans une petite ornière durcie comme un rail. Soyez prudents, mais soyez aussi décidés. Un coureur cyclo-pédestre ne doit pas être un spécialiste forcené, mais il est indispensable qu'il connaisse bien son affaire s'il veut, un jour, être un champion.
En tout cas, qu'il veille à ce que le cross cyclo-pédestre reste un exercise, un entrainement, sans jamais devenir un surmenage. Et quand la saison des épreuves sur route viendra, il s'apercevra, à sa grande joie, que son vélo est plus léger et que son pédalier roule mieux.
La course dans un sentier escarpé
- Mais, me direz-vous, vous ne vous adressez qu'aux cyclistes professionnels; vous leur donnez une occupation, une distraction, un moyen de chasser l'oisiveté et de s'entrainer pour la saison qui vient; vous déplorez la pénurie trop grande des épreuves professionnelles de cross-country cyclo-pédestre. Tout cela est très bien. Pourtant, n'aurez-vous pas un mot pour les amateurs, pour ceux qui aiment le cyclisme et qui en font en guise de délassement?
- A cela, je répondrai que vous prêchez un converti. Il y a longtemps que je souhaite de voir le gros public s'intéresser au cross cyclo-pédestre attirera plus de spectateurs que les cinquante passants et curieux qui assistent à nos départs et à nos arrivées, le amateurs seront bien près de pratiquer ce sport facile et très varié. Le public commencera à suivre les concurrents, tant bien que mal; il s'apercevra que le parcours est attrayant et mouvementé, il s'amusera; le temps passera sans qu'il s'en douter. Il est impossible qu'il n'y prenne pas goût; il suivra d'autres épreuves. Et, de même que les gens qui vont à pied aiment parfois quitter le grand chemin pour les sentiers plus tranquilles et moins poussiéreux, de même l'amateur cycliste, séduit par le cross-country cyclo-pédestre, ne se contentera plus de sillonner la route monotone et encombrée; il parcourra les sous-bois aussi facilement que le piéton, il apprendra à manier sa bicyclette et il verra qu'il peut passer sans encombre partout où un piéton s'aventure. Il comprendra alors qu'une bicyclette ne doit pas nécessairement suivre la route comme un train suit le chemin de fer. Son admiration et son affection pour le mode de locomotion de la reine-bicyclette, me peuvent que s'accroître à la suite de telles expériences.
La frise d'affui sur la bicyclette
Pratiquez le cross-country cyclo-pédestre; faites-le pratiquer par vous amis; vulgarisez-la autour de vous.
Il y aurait un autre moyen d'augmenter la popularité de cyclo-pédestre: il consisterait à créer de nouvelles épreuves. Le nombre des courses de cross cyclo-pédestre apparaît très restreint et les concurrents sont en faible quantité quand on compare les amateurs de cross cyclo-pédestre à ceux, innombrables, du cross-country pédestre! Je n'éprouve aucune animosité contre les jeunes gens qui participent par centaines aux courses à pied dans les bois de Saint-Cloud; cependant mon cœur de vieux cycliste se réjouirait de voir une partie de ces débutants passer dans notre camp, avec toute leur ardeur et leur foi de sportifs!