From La Pèdale (France), 09 Feb 1927:
Dans Paris même (théatre de leurs exploits quotidiens) les porteurs de journaux disputeront, dimanche, leur anneul championnat. D'autres nous diront - dans ce journal - combien est pittoresque cette course originale qui obtient du public parisien. Il n'en sera donc aucunement question ici: mais, à la faveur de l'actualité, qu'il nous soit permis de discuter les dangers de disperition qui peuvent menacer une corporation laborieuse et sportive: les cyclo-porteurs.
Qui donc parmi nous, petits gars, ne connaît pas ceux que Pierre Labrie poussé par une inspiration heureuse surnomma les "Roule-Toujours"? Vous les voyez journellement sillonner les artères de la capitale. Qu'il pleuve, neige, fasse soleil ou vente, ils enfourchent dès le matin leur fidèle et robuste vélo dont la plus apparente caractéristique demeure un porte-baggage avant sur lequel sont ficelées des piles imposantes de journaux. La majeure partie de la journée ils pèdalent, propulsant leur lourde machine à travers les dangers et les embarras de la rue. Est-il un Parigot qui ignore leur sihlouette, penchée sur le guidon et légèrement saccadée par l'effort? Jeunes ou vieux, portant jupes courtes (car il y a des femmes parmi eux), culottes et bas cyclistes ou bien pantalons longs comme le bourgeois le plus vulgaire, le cyclo-porteurs abattent chaque jour une cinquantaine de kilomètres chacun environ et cela dans des conditions aussi périlleuses qu'incommodes. Aussi, en voyant ces hommes peiner contre la fatigue et lutter pour échapper aux mille embûches de la circulation, ne vous est-il jamais arrivé de trouver extraordinaire que le vélo ou cyclo-porteur n'ait pas été remplacé encore par des moyens de transport qui paraissent - a priori - beaucoup plus sûrs, rapides et confortables: l'automobile et la motocyclette? La question est d'ordre autant social que sportif, puis-qu'une de ces solutions pourrait entraîner la disparition d'une catégorie d'individus dont le travail touche au sport par plus d'un côte.
Eh oui! A notre époque, où industriels et commer¸ants ont érigé en suite le vieux proverb anglais: "Le Temps est de l'Argent"; dans la cité moderne où la plus grande vitesse à obtenir est l'objet de toutes les recherches, qui ont abouti au règne actuel de la machine. le cyclo-porteur ne semble-t-il pas déjà un anachronisme?.. On serait tenté, à première vue, de répondre par l'affirmative; cependant, une enquête, accomplie dans les milieux compétents (et cela à l'intention des lecteurs de la Pèdale) nous a prouvé l'erreur que l'on pourrait commettre en jugeant à le légère et en méconnaissance des choses. Quelques entretiens avec divers chefs de vente, un ou deux "sondages" pratiqués chez les cyclo-porteurs eux-mêmes m'ont permis de constater que les intéressés ne se sentent nullement menacés dans leur situation présente et sont, au contraire, imprégnés du plus grand optimisme en es qui concerne le bon avenir de leur métier:
C'est, en effet, avec le plus indulgent sourire que les dirigeants de la coopérative des cyclo-porteurs d'une part, et plusieurs chefs de vente de divers journaux, de l'autre, ont accueilli les propos alarmistes que je leur tenais. Partout m'a été servi ce même argument, auquel les non initiés seront assex loin de s'attendre: la plus grande facilité et rapidité de déplacement - dans Paris - du cycliste sur l'automobiliste et sur le motocycliste. La preuve? Voici:
Il y a quelques années à peine, une société de transports fit à un grand quotidien du soir une proposition fort mena¸ante pour les cyclo-porteurs. Elle offrait de desservir les vendeurs de notre confrère à l'aide d'un service spécial de side-cars. Homme antiroutinier et hardi, le directeur du journal en question conditionna son acceptation aux bons résultats d'une expérience: Sur un parcours déterminé, un cycliste et des porteurs, usant de l'automobile et du side-cars, entreprirent une "tournée".
Le but de cette dernière est - chacun con¸oit - d'approvisionner en journaux chaque kiosque ou librairie compris dans l'itinéraire. A l'approche de tout point à desservir, la porteur fait retentir sa puissante trompe à double son. Les dépositaires ou vendeurs s'apprêtent à recevoir le "papier". Le porteur s'arrête, descend en vitesse pour remettre son paquet de journaux (qui est plus ou moins important selon les faits du jour, la vente de la veille). Il doit souvent discuter le coup pour des réclamations et pour se faire payer la "marchandise". Après quoi, il ne lui reste plus qu'à repartir en trombe et à recommencer (cent mètres plus loin) le même manège, en tenant compte que les secondes sont précieuses... Le premier journal desservi est le premier vendu!...
Or donc, nos trois compétiteurs étant aux prises, le cycliste termina la tournée bon premier devant l'automobile, qui avait été handicapée par des embouteillages. Quant au side-car, son embrayage l'avait lâché du fait d'arrêts et de démarrages trop répétés. L'homme l'avait emporté sur la machine et cette victoire affirma sa position, en tant que cyclo-porteur.
Depuis lors, les encombrements de la circulation n'ont fait que croître et embellir dans la capitale et la supériorité de vélocipède (comme moyen de déplacement le plus rapide) n'est plus contestable. On se souvient encore du pari effectué entre Sadi-Lecointe et Wambst. Ce dernier, à vélo, battit facilement l'aviateur, que pilotait, ce jour-là, une automobile puissante.
Ce n'est pas bien difficile pour un rubriquard cycliste d'entrer en conversation avec un de ces jeunes cyclo-porteurs qui dans la rue du Croissant, attendant la sortie du "canard". J'avise un jouvenceau au torse moulé dans un chandail grenat, aux jambes nerveuses serrées dans des bas de couleur assortie au maillot. Après avoir causé un instant du Critérium prochain, j'attaque résolument: "Il n'y a pas longtemps que tu dois faire le métier. Ne crois-tu pas qu'un motocycliste le battrait dans la tournée!"
Un éclat de rire répond d'abord à ma question; puis je m'entends dire d'une voix rassurée: "Si vous avez une "livre" à perdre vous pouvez toujours m'amener un "tacot à pétrole". Vous verrez ce qu'il prendra dans la vue, comme retard?..."
Ainsi l'avis unanime, émanant de gens autorisés et que la réflexion confirme, les cyclo-porteurs sont des auxilaires indispensables pour le journaux. Heureux veinards!... que demeurent en état de vaincre sur leur terrain - les produits les plus récents du progrès!... Leur suppression ne saurait être envisagée: Longtemps encore nous pourrons admirer le courage et l'adresse de ces "chevaliers" modernes qui sur leurs "percherons d'acier" rivalisent de vitesse avec le plus rapides autobus, feignent les pietons et se glissent à travers les embouteillages, filant à la barbe des bolides modernes qui ne peuvent leur courir après!... Suant, geignant parfois ils semblent se jouer des dangers et des difficultés. Toutefois ils nous donnent - en même temps qu'un bel example sportif - un édifiante le¸on sociale d'endurance et de travail.
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